Il était en retard. Pas de beaucoup, mais il était en retard, et il avait parfaitement horreur de ça. Il n'avait même pas vraiment d'excuse, son réveil avait pourtant sonné à l'heure, pour une fois il avait pensé à préparer le petit sac à dos de Xander la veille au soir et n'avait pas du passer un quart d'heure supplémentaire avant de partir à courir après le doudou ou le goûter ... Mais il était en retard, malgré tout. Les bouchons sur la rocade extérieure, l'accident sur le Golden Gate, la sortie qu'il avait loupé parce qu'il avait l'esprit ailleurs. Ce n'était pas non plus la mer à boire au fond, ce n'était pas comme s'il avait un rendez-vous important, mais c'était pour le principe, disons ... Son entraîneur pourtant n'avait pas fait le moindre commentaire lorsqu'il avait déboulé au hangar. Les entrainements n'en étaient plus vraiment ces derniers temps, c'était plus de discussion que d'action, c'était plus question de ne pas perdre la main que de retrouver un niveau acceptable, à défaut d'excellent. Ils parlaient du Paris-Dakar comme s'il comptait participer au prochain, quand tous les deux savaient pourtant qu'à l'allure où allaient les choses cela semblait plus que compromis ... Il ne pouvait pas s'absenter si longtemps, qui s'occuperait de Xander ? Il était encore trop petit, il avait besoin de stabilité, de routine, pas d'un père qui s'absentait à tout bout de champ. Et puis la question ne se posait de toute façon pas, pour l'instant ... Parce qu'envisager une compétition multi-étapes quand rester dans une voiture plus de deux ou trois heures d'affilé relevait déjà du supplice, voilà. Son accident remontait à huit mois, presque neuf maintenant, et pourtant son genou le faisait toujours autant souffrir malgré la rééducation. Même après une journée à simplement vaquer à ses occupations, faire les courses, aller chercher Xander au jardin d'enfants, il lui arrivait parfois une fois son fils couché le soir de s'affaler sur le canapé du salon en grimaçant et de ne plus réussir à s'en relever avant tard dans la soirée, ou la nuit. Parfois même il dormait sur le canapé. Comme cette nuit, et généralement cela lui valait une journée de mauvaise humeur et de fatigue chronique, en plus d'avoir le dos dans le même état que s'il avait dormi sur une planche à clous. « Aymeric ? Tu m'écoutes ? » Non, il n'écoutait pas, et ça l'entraîneur l'avait bien compris, cela faisait dix minutes qu'il parlait dans le vide et que le pilote secouait vaguement la tête pour donner le change. Claquant des doigts devant son regard vide il avait finalement obtenu du jeune homme qu'il revienne sur terre « Hein ? Oui pardon, oui oui je t'écoute. » Mauvais menteur en plus de ça, comme si le vieux était dupe. Mais il avait au moins eu le tact de ne pas insister, et de ne pas chercher à savoir ce qui tracassait son poulain à ce point. Et ça Aymeric l'en remerciait silencieusement, parce qu'il n'avait pas envie de lâcher quoi que ce soit à ce sujet, comme un carnivore qui refuserait de lâcher le dernier morceau de viande. « J'ai rendez-vous avec un sponsor dans dix minutes, je vais devoir monter. Pourquoi tu ne vas pas prendre un peu l'air ? » Oui, prendre un peu l'air, c'était une bonne idée ... Cela ne changerait rien à vrai dire, mais cela ne pouvait pas lui faire de mal non plus. D'abord tenté de traîner près des portes principales il avait bien vite senti que les relents de tabac froid seraient de trop - il remarquait d'ailleurs qu'à force d'éviter au maximum d'être en contact avec des fumeurs, pour ne pas aggraver son asthme, il était de moins en moins tolérant à l'odeur de tabac - et finalement il avait continué sa route le long des hangars et jusqu'à la piste de test. Les traces de dérapage sur le sol témoignait de l'activité sur la piste la veille, et l'esprit un peu ailleurs Aymeric avançait les yeux rivés sur les marques de roues sur la terre, ses pieds marchant dessus comme on marcherait sur une poutre. Il n'avait relevé la tête que pour une seule raison, parce qu'il avait entendu und voix prononcer son prénom ... Mais lorsqu'il avait posé les yeux sur la propriétaire de cette voix, il avait compris que de maussade sa journée venait de passer à mauvaise. « C'est une blague ? » Malgré lui un éclat de rire avait quitté ses lèvres en même temps que sa question. Un rire nerveux, un rire jaune ... Le rire de celui qui se demandait si le destin se foutait ouvertement de sa gueule ou bien s'il s'agissait juste d'une mauvaise blague. Elle était là, face à lui, comme si ces trois années n'avaient pas existé, elle était la même que celle que était la dernière fois qu'il l'avait vu ... Ou peut-être pas, pas tout à fait. Lily-Rose. Sa Lily-Rose, celle qu'il avait aimé, puis détesté, celle qui était partie, celle qui l'avait laissé. Mais surtout, surtout celle qui avait laissé leur fils.

Il aurait presque pu croire à une mauvaise blague, à son imagination qui lui jouerait un mauvais tour en tentant de le déstabiliser. Comme s'il avait besoin de ça en ce moment. Sans doute y croyait-il encore tandis qu'entendant cette voix lui parvenir en même temps que le coup de vent qui lui avait fait rentrer la tête dans les épaules « Aymeric ... » il avait relevé la tête. Mais non, ce n'était pas dans sa tête, il ne s'agissait pas d'un mirage ou d'avoir entendu ce qu'il aurait aimé entendre. Pas sûr qu'il aurait aimé, d'ailleurs ... Non, s'il était parfaitement honnête il pouvait avouer qu'il s'était au fil des mois mué en un stade où il aurait préféré ne jamais revoir la personne qui se trouvait face à lui. Ou peut-être était-ce la colère qui le faisait résonner de la sorte ? La colère, qui s'insinuait seconde après seconde dans chaque veine, chaque cellule de son corps sans qu'il ne puisse rien faire pour ralentir le processus. C'était juste tellement ironique. Quand Lily-Rose était partie il avait attendu, il avait espéré pendant plusieurs semaines qu'il ne s'agissait que d'un coup de tête, qu'elle allait se rendre compte de son erreur et qu'elle reviendrait ; Peut-être pas pour lui, mais au moins pour leur fils. A vrai dire il avait accepté bien plus rapidement le fait d'avoir perdu la femme qu'il aimait, que le fait que Xander venait de perdre sa mère, et aujourd'hui c'était ce fait unique qui était le canalisateur de sa colère envers elle. Il ne savait même pas quoi dire, la rhétorique de la question qui s'était échappée de ses lèvres en était la preuve ... En réalité il était tétanisé. Et elle en avait profité, croyant peut-être que cela le rendait apte à écouter ce qu'elle avait à lui dire. « Je sais que tu ne veux sans doute plus entendre parler de moi, que tu t'attendais même à ne plus jamais me revoir mais ... si je suis là c'est pour rattraper, pour arranger les choses ... » Il bouillonnait, un peu plus à chaque seconde, un peu plus à chaque mot qui sortait de la bouche de la jeune femme. Il l'avait aimé, pourtant, il était peut-être tombé amoureux sans s'y attendre mais il l'avait aimé, sincèrement ... Pourtant aujourd'hui, en posant les yeux sur elle, il ne parvenait plus à retrouver ce qui l'avait fait penser ainsi. Il la regardait et tout ce qu'il voyait c'était cette femme lâche ayant abandonné sans jamais revenir dessus l'enfant qu'elle avait mis au monde, et que lui avait tenté d'élever tout seul tant bien que mal. En sachant qu'un jour les questions viendraient, qu'un jour il devrait expliquer à ce futur petit homme qu'il avait une mère, qu'elle n'était pas morte, qu'elle n'avait pas disparu ... Mais qu'elle était simplement partie. Sans lui, sans eux. Tandis que ses poings se serraient, de frustration, il avait fait un pas en arrière. Comme si son inconscient aurait voulu de lui qu'il fuît sans attendre un mot de plus de la part de Lily-Rose ... un mot de plus ne pouvait faire que plus mal, après tout. « Je suis tellement désolée ... Tu ne peux pas savoir à quel point je regrette ... » Il n'en croyait pas ses oreilles. Tant et si bien qu'avant que la colère ne vienne reprendre sa place ce fut un instant la surprise qui s'afficha sur son visage. Il aurait voulu faire demi-tour finalement, quitter cette parodie de retrouvailles avant qu'elle ne tourne au vinaigre mais les derniers mots de la jeune femme l'en avaient empêché. « T'es désolée ? » avait-il finalement demandé, incrédule, refaisant en avant le pas qu'il avait fait en arrière quelques instants plus tôt, et plantant ses pieds dans le sol avec résolution. Ou vindication. « Elle est désolée. » Qu'il répète alors, laissant échapper du même coup un rire nerveux, comme s'il en était encore à assimiler cette simple information mais n'arrivait pas à se résoudre à la croire. « Tu te volatilises pendant trois ans. TROIS ans, et tout ce que tu as trouvé c'est "je suis désolée." ? » Il aurait fait mieux. C'était la première chose qui lui avait traversé l'esprit, s'il avait été à sa place il se disait qu'il aurait trouvé mieux, mieux que trois foutus mots, ces trois mots à la con qu'elle avait déjà laissé sur son stupide post-it avant de foutre le camp. Si encore il pouvait se consoler avec la certitude que les mots en question étaient sincères, mais même ça il ne pensait pas pouvoir s'en convaincre. « C'est tout ? » Il secouait à nouveau la tête, écartant les bras comme en signe d'impuissance, tandis qu'un nombre incalculable de pensées, de reproches et de questions se bousculaient dans sa tête et lui donnaient le tournis, en plus de faire battre son cœur si vite qu'il le pensait presque capable de s'échapper de sa poitrine. « Parce que c'est pas assez. On peut être désolé d'être en retard, d'avoir cassé une tasse avec une valeur sentimentale, d'avoir bousculé quelqu'un ou d'avoir oublié de poster une enveloppe importante, ça oui on peut être désolé, éventuellement. Mais toi ... Toi c'est juste ... » Juste quoi ? Il ne savait même pas. Il ne savait même pas pourquoi elle était là, pourquoi aujourd'hui, pourquoi maintenant, ou pourquoi tout simplement. Parce que son excuse ne tenait pas la route, elle n'en était même pas une ... On n'arrangeait pas les choses après autant de temps. Comment pouvait-elle simplement espérer "arranger les choses" et se tenir là, comme si ces trois années n'avaient pas existé ou presque pas, comme si ce n'était que quelques jours. Mais ce n'était pas quelques jours, c'était plus de mille jours, trois ans ... « Rattraper quoi ? Qu'est-ce que tu veux "arranger" ? Le souci que tu as avec ta conscience ? Parce que les dégâts que tu as laissé derrière toi, crois-moi il va falloir bien plus qu'un "je suis désolée" pour y changer quoi que ce soit. » Rien de ce qu'elle dirait n'y changerait quoi que ce soit à ses yeux, de toute façon. Il ne voyait pas ce qu'elle pourrait dire ou faire qui puisse effacer ou atténuer le vide que son absence avait représenté dans leur vie à tous les deux, la sienne et celle de son fils. Mais il n'était pas question de lui, Aymeric ne voulait même pas songer à ce qu'il avait ressenti lui, ce n'était pas important, pas prioritaire ... Il n'y avait toujours eu qu'une seule priorité dans sa vie de père.

Aymeric était d'une nature relativement calme. Peu de gens pouvaient en fait se vanter de l'avoir un jour vu s'énerver, et même les situations les plus critiques étaient en général réglées à coup de phrases tranchantes et assassines plutôt qu'à corps et à cris. C'était peut-être son côté nordique, ou bien était-ce simplement d'avoir grandi face à un modèle de froideur similaire ... Des maux avec son père il en avait eu, à de nombreuses reprises, mais il n'y avait bien qu'une seule fois où Aymeric se souvienne que le ton ait monté. La plupart du temps ce n'était que frustration silencieuse, grincements de dents et petites phrases assassines. Alors pourquoi n'en était-il pas de même à cet instant ? Pourquoi dès qu'il posait les yeux sur Lily-Rose la seule chose qu'il avait envie de faire c'était de crier ? Crier simplement pour le fait de le faire, pour évacuer les trois ans de frustration qu'avait provoqué son départ, pour qu'elle comprenne, pour qu'elle réalise au moins un centième de l'impact que son départ avait eu sur sa vie à lui. Il était en colère, jamais il ne s'était senti aussi en colère à vrai dire, il l'était encore plus que le jour où la réalisation que Lily-Rose ne reviendrait pas l'avait frappé en pleine figure. Il était trop en colère pour réfléchir tout simplement, pour réussir à ordonner ses pensées et ses dires, tant et si bien que ce n'était qu'un flot de reproches bêtes et désordonnés qui s'échappaient de ses lèvres comme le venin d'un reptile. Il le savait bien pourtant, que Lily-Rose n'était pas femme à encaisser sans broncher, et qu'elle ne resterait pas silencieuse éternellement face à cette déferlante de reproches et de questions qui n'attendaient pas véritablement de réponses. Celles dont il voulait les réponses autant qu'il les craignaient étaient à n'en pas douter les plus difficiles à poser, et il ne s'en sentait pour le moment tout simplement pas la force. Et c'était tellement plus simple, d'enchainer les reproches de cette façon. « Moi c'est quoi ... ? Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Tu veux que je me mette à genoux et que je te supplie de me pardonner ? C'est ça que tu veux ou bien ça ne serait pas encore assez pour toi ? » Oui Aymeric, qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu attends, qu'est-ce que tu espères ? Il n'en sait foutrement rien, il ne sait pas ce qu'il veut. Mais en revanche il sait qu'il n'espère rien, plus rien du tout venant de la femme qui lui faisait maintenant face. « Tu crois que je me suis dit ce jour là : " Oh je m'ennuie tellement ici, et si je partais faire un petit voyage et si je ne revenais jamais ? " Non, je suis partie parce que je n'étais plus moi-même, parce que j'étais mal ... que j'aurais pu vous faire du mal ... et tu es étais trop aveugle pour le voir ... » Elle ne savait pas. Non, bien sûr, elle ne pouvait pas savoir comme ces mots pouvaient lui faire mal, et comme en l'entendant parler il sentait ses certitudes se casser la gueule une nouvelle fois. Parce qu'elle ne s'imaginait pas combien de fois il s'était posé la question, demandé ce qu'il n'avait pas fait, ou pas vu. Est-ce que c'était lui, est-ce qu'il la rendait malheureuse ? Est-ce que c'était autre chose, qu'il aurait du comprendre, remarquer ? Est-ce qu'elle ne l'aimait pas, aussi ? Est-ce qu'elle en avait eu assez de faire semblant, en restant avec cette famille dont elle ne voulait peut-être pas ? « Il n'y a pas un jour où je n'ai pas regretté d'être partie ... Je n'ai pas cessé de penser à vous une seule seconde, à toutes les choses que je manquais ... » Il n'avait plus envie de crier, ou peut-être plus rien à lui cracher au visage. C'était comme si d'un seul coup, en quelques secondes, le poids de toutes ses heures de sommeil en retard lui était retombé dessus pour le laisser passablement lessivé ... Est-ce que cela n'aurait pas du le soulager un peu, de savoir qu'elle regrettait d'être partie ? Pourtant cela ne soulageait pas, cela faisait simplement plus mal, c'était insupportable. Il avait fermé les yeux un instant, prenant une grande inspiration et remplissant ses poumons d'air comme pour s'assurer qu'il ne leur prendrait pas l'idée de lui jouer un sale tour. Mais il avait rouvert les yeux bien vite, parce qu'il n'était pas de ceux qui tournaient le dos aux problèmes, et qu'il les regardait généralement en face. Comme il regardait Lily-Rose « J'te demande pas de te mettre à genoux, non. J'te demande rien du tout ... Je sais même pas ce que tu veux. Pourquoi tu es là ? Qu'est-ce que tu espères ... ? » C'était peut-être là la véritable question à l'heure actuelle, celle qui importait vraiment aux yeux du jeune homme, celle dont la réponse l'intriguait autant qu'elle l'inquiétait ... Il avait peur de ce qu'elle pouvait vouloir, et de ce qu'elle attendait de lui en décidant de revenir aujourd'hui, après autant de temps à faire comme si rien de tout cela n'avait jamais compté. Lui, eux, et l'enfant qu'ils avaient eu. Il avait bien une idée de ce qu'elle pouvait vouloir, mais ça il n'était pas résolu à accepter, c'était hors de question. « Pourquoi tu m'as rien dit ? Si t'étais pas heureuse, si tu ... Ça excuse pas ce que tu as fait. Ça change rien au fait que tu l'as laissé, lui. T'aurais pu juste me laisser moi, mais tu l'as abandonné lui aussi ... C'était ton fils putain, t'avais pas le droit de l'abandonner lui. » Il n'était pas en train de dire que si elle l'avait simplement quitté mais sans disparaitre de la vie de Xander il n'aurait pas été malheureux, parce qu'il l'aurait été assurément ... Plus qu'il n'était d'ailleurs décidé à l'admettre, tout comme il avait toujours été plus amoureux et attaché à elle qu'il ne l'admettait aussi, sans doute. Mais si elle était restée il aurait tout fait pour la récupérer, il aurait changé, il était persuadé qu'il aurait pu changer ... Ou au moins essayer. Il aurait pu se rendre compte de la même façon qu'il avait besoin d'elle et qu'il ne voulait pas la perdre, mais sans se heurter au mur épais et infranchissable de sa disparition ; Il se souvenait encore du mélange de jugement et de pitié qui habitait le regard de l'officier de police qui avait refusé de l'aider. En lui disant qu'il ne pouvait rien faire, que si Lily-Rose était partie de son plein gré il n'y avait rien qu'il puisse faire pour le renseigner, qu'elle était libre de faire comme bon il lui semblait ... Comme si ce n'était rien. Comme si priver un enfant de sa mère n'était rien du tout, une broutille, un détail sans importance. « Tu les rattraperas pas, les choses que tu as manqué. Pas plus que celles que tu as perdu, et tu pourras être désolé autant que tu veux, ça changera rien à ça. » Au fil de ses paroles le ton d'Aymeric s'était fait de moins en moins agressif, mais de plus en plus amer, et presque ... résigné. Résigné parce que le mélange de tristesse, de colère et de déception qui émanait de lui quand il regardait Lily-Rose était le même que celui qui l'avait habité durant les trois années où elle avait été absente ... Il réalisait que sur le fondement de ce qu'étaient les choses désormais, le fait qu'elle revienne lui faire face ne changeait plus rien à ce qu'il ressentait. Au fait qu'il ne se pensait pas capable de pouvoir un jour pardonner, parce que rien à ses yeux n'excusait ce qu'elle avait fait, et surtout la façon dont elle l'avait fait. Le regard triste et une boule au fond de la gorge, il s'était finalement tu, secouant légèrement la tête d'un air résigné, tandis qu'une bourrasque de vent faisait un instant voler la poussière sur le sol autour d'eux.

Bien sûr, évidemment qu'il savait pour quelle raison elle était là. Ou du moins il le déduisait, il ne voyait pas pour quelle autre raison elle aurait fait le choix de réapparaitre ainsi, sans crier gare. Il n'était pas assez naïf pour s'imaginer un seul instant qu'elle était là pour lui, à vrai dire cette seule possibilité ne lui avait pas un seul instant traversé l'esprit et c'était peut-être ce qui le paniquait autant en fin de compte ... Il savait, il savait pourquoi elle était là, et la vérité c'est que cela le terrifiait. Poser la question n'était en fin de compte que tenter d'attraper un bouée dans une mer agitée, un geste désespéré et qui avait toutes les chances de se solder par un échec, une déconvenue. Et effectivement, si son sang s'était glacé lorsqu'elle lui avait répondu « Tu sais pourquoi je suis là ... J'aimerais voir Xander, j'aimerais que tu me laisses le voir, au moins une fois ... Je comprendrais que tu ne sois pas d'accord mais alors au moins, parle moi de lui ... » ce n'était pas parce qu'il ne s'y attendait pas, mais bien parce que c'était ce qu'il craignait. Pendant longtemps Aymeric n'avait pas su s'il souhaitait avoir des enfants, si être père ferait ou non un jour ou l'autre partie de ses projets de vie ; De façon plus ou moins conscience sans doute questionnait-il surtout sa capacité à en être un bon, quand la figure paternelle dont il avait bénéficié lui avait seulement appris ce qu'il ne fallait surtout pas faire. Ce n'était même pas que Majken Löwenadler avait été un mauvais père, au fond, simplement un père absent. Désintéressé de ses enfants, de leur éducation, ou de leur existence plus généralement. C'était donc presque étonnant en comparaison, cette façon dont Aymeric était rapidement devenu protecteur envers la propre progéniture, presque à outrance, telle une louve avec ses petits. Son monde tournait littéralement autour de son fils, de son emploi du temps aux personnes qu'il fréquentait, puisqu'il était bien entendu hors de question pour Aymeric d'être ami avec des personnes qui n'accepteraient pas Xander à bras ouverts. « Et tu dois très bien savoir quelle sera ma réponse. C'est déjà assez difficile comme situation, la dernière chose dont il a besoin c'est d'un nouveau bouleversement dans sa vie ... Je lui dirais quoi quand tu repartiras, de toute façon ? » qu'il avait alors simplement répondu, presque de but en blanc. Il était hors de question qu'elle le voit, tout comme il était absolument certain dans l'esprit du pilote que la jeune femme s'en irait de nouveau. Et ce n'était même pas contre elle au fond, c'était vis à vis de Xander, il ne voulait pas imposer cela à son fils alors qu'il tentait déjà tant bien que mal de se construire avec un seul de ses parents ... Ou peut-être que c'était lui, Aymeric, qui avait peur des conséquences qu'un tel bouleversement pouvait impliquer. Elle le prenait tellement au dépourvu, ce n'était pas comme s'il avait eu le temps de réfléchir à une telle éventualité, ce n'était pas comme si le retour de Lily-Rose s'était fait en douceur ... Il réagissait par réflexe, par instinct, à défaut de trouver une autre manière plus mesurée de réagir. Trop de choses se bousculaient dans sa tête pour qu'il ne parvienne à garder la tête froide, panique, rancœur et incompréhension se mélangeaient en un résultat qui avait de quoi vous donner le tournis. Il ne comprenait même pas pourquoi elle était là aujourd'hui, pourquoi il lui avait fallu trois ans pour se décider, et il avait le sentiment que tant qu'il ne comprendrait pas cela il ne comprendrait pas plus le reste, quand bien même les questions sortaient sans filtre de sa bouche « Comment est-ce que tu voulais que je te dise ce que je ressentais ? Je n'arrivais même pas à dire ce qui m'arrivait ... Et puis je pensais que tu remarquerais que quelque chose n'allait pas avec moi ! Rien n'excuse ce que j'ai fait, je le sais ... » Elle pensait qu'il remarquerait ? Alors quoi, c'était supposé vouloir dire que c'était de sa faute, que si il avait remarqué quelque chose elle ne serait pas partie ? C'était trop facile. Mais elle avait raison sur un point, rien n'excusait ce qu'elle avait fait, rien n'excusait d'abandonner la chair de sa chair et de penser d'abord à soi avant de penser à sa progéniture. Et comme si elle l'avait entendu penser la voilà qui ajoutait « Si je suis partie c'est parce que je n'arrivais pas à m'occuper de lui, j'avais l'impression de sombrer, de n'avoir aucun lien avec mon propre fils ... Il fallait que je parte, sur le moment je m'étais dit que c'était la meilleure chose pour tout le monde et que vous seriez tellement mieux sans moi ... » Sans doute par cette justification essayait-elle de temporiser, en plus de se justifier. Et Aymeric n'était pas en train de dire qu'il n'y avait aucune justification possible, il préférait encore ça au fait qu'elle soit partie sans raisons ... Mais ces raisons il ne les comprenait pas, ou plutôt il ne les trouvait pas légitimes. Il ne comprenait pas comment devant toutes les possibilités qui auraient pu s'offrir à elle, elle avait décidé de celle-là, de fuir, de les abandonner. « Arrête, c'est trop facile comme excuse ... Tu penses que tu nous as rendu service ? Tu penses que de n'avoir qu'un seul parent a rendu service à ton fils, que c'est comme ça qu'il le verra quand ses copains seront en âge de lui demander pourquoi eux ont une mère et pas lui ? ... Tu penses sincèrement que j'étais mieux seul, qu'avec la femme que j'aimais ? » Ce n'était même pas dans l'intention de donner le coup de grâce, encore une fois les mots sortaient de sa bouche sans censure, sans qu'il ait le temps de tourner sa langue sept fois dans sa bouche. S'il l'avait fait d'ailleurs sans doute n'aurait-il pas utilisé ces termes-là, parce qu'avouer son amour, même passé, à la femme qui vous avait quitté sans rien de plus qu'un post-it n'était selon la vision d'Aymeric pas la chose la plus intelligente à faire ... Il ne se reconnaissait même pas dans cette façon de réagir, s'il était parfaitement honnête avec lui-même. Et Lily-Rose de baisser la tête, comme si elle refusait à présent de le regarder, elle qui était revenue d'on ne savait où pour lui parler, pour lui dire il ne savait même pas quoi, et lui demander ce qu'il ne se pensait pas en mesure de pouvoir accorder. « J'aimerais que tu n'aies pas raison... Tu aurais préféré que je ne revienne jamais ? » Il sentait sa gorge se serrer, autant que semblait le faire celle de la jeune femme ne lui posant sa question. Une question dont la réponse n'avait pas grande importance en fin de compte, parce qu'Aymeric n'était pas ce genre de personnes qui vivait sur les suppositions et les Et si ? et que justement, la possibilité qu'elle ne soit pas revenue ne se posait désormais plus puisqu'elle était ici, devant lui, et bien réelle. Il aurait fait plus chaud qu'il aurait pu croire à un mirage, ou presque ... Il savait à quoi ressemblait un mirage, il en avait déjà vu un sur un Paris-Dakar. Pourquoi pensait-il à cela d'ailleurs, pourquoi son cerveau était-il parasité d'un truc aussi futile et sans rapport avec la conversation ? C'était comme si dans les moments de doute il ne trouvait jamais rien d'autre de plus concret que son métier auquel se raccrocher. « Pose pas de questions dont tu n'as pas envie d'entendre la réponse ... » Autrement dit sans doute, peut-être. Peut-être qu'il aurait préféré qu'elle ne revienne pas oui, parce que bien que difficilement il avait fini par se faire à l'idée qu'elle était partie, et qu'elle ne reviendrait pas. Il avait espéré un temps, sincèrement, mais les mois passants il avait préféré se faire une raison, et finalement il s'était résigné à devenir un père célibataire, avec une cicatrice sentimentale sur une partie du coeur. Une cicatrice dont il avait tenté de s'accommoder, au point de penser avoir réussi. Maintenant que Lily-Rose se tenait de nouveau face à lui cependant il n'était plus aussi certain, il ne savait plus ... Non, il ne savait plus.